« C'est le moment où on se demande ce qu'on fiche ici ». Cette phrase de Benoït résonne encore. Quand il la prononce, nous sommes assis tous les deux, de chaque côté de la barre à roue. Et surtout au milieu de nulle part, cernés par la mer obscure, dans un endroit nommé Golfe de Gascogne.
Délavés par le gros grain, la pluie dégoulinant dans nos manches, transis de froid. Les voiles sont en ciseau devant : gênois tangonné à gauche, grand voile retenue par un boute à droite...
Alors oui, qu'est ce qu'on fout ici ? La réponse est confuse. Sans doute parce que je ne me rappelle pas avoir vu un coucher de soleil. D'en avoir pris le temps. Ne parlons même pas du lever ! Alors pourquoi ? Sans doute, parce que dans ce monde sous cellophane, on n'a plus l'occasion d'avoir un peu de pétoche. Entre Gsm, facebook, email, on appelle toujours quelqu'un à la rescousse. Ici, on ne peut compter que sur soi. Quand un méthanier surgit soudain dans la nuit, on n'appelle pas maman, son délégué syndical ou un ami à la maison comme dans le Jeu du Millionnaire ! On fait un choix clair : derrière ou devant ?
Bon, d'accord, il y a les GPS, les balises, le PC, les prévisions météo. On n'est pas Christophe Colomb non plus, hein! Mais toutes ses aides à la navigation, justement, nous avons appris à les domestiquer. C'est aussi là qu'il faudrait chercher les raisons plus terre à terre de notre présence ici... si on n'était pas sur un bateau qui surfe sur des vagues hautes comme lui. Alors parlons des raisons « mer à mer ». La traversée du Golfe de Gascogne, c'est un festival d'apprentissages, un condensé de tout ce qu'il faut savoir faire : le près qui retourne l'estomac, la pétole qui permet d'explorer les entrailles du moteur diesel, le portant avec un courant déchaîné. Passons sur le rallye dans les rayons du Carrefour de Vigo : si tu oublies un truc, pas question de l'acheter dare-dare au « Paki » du coin !
La liste des leçons serait longue comme un jour de pétole. Alors tirons, sans aucune modestie, trois règles d'or qui ravalent au rang d'aimables plaisanteries tous les subtils traités de navigation écrits par les héros des mers.
Un. On ne fourre pas des cannellonis sur un bateau qui navigue au près !
Deux. On fait pipi assis et même le mâle orgueilleux peut parfaitement vivre avec cinq litres d'eau par jour.
Trois. On vomit sous le vent; les tragédies stomacales sont monnaie courante. C'est pas honteux et on s'y fait.
Encore un détail : la vie sans SMS est une des plus surprenantes délices qu'offre la navigation hauturière. Larguer les amarres reliées au monde, l'espace d'une semaine, voilà pourquoi on est là, Benoît. On est crevé, trempé, moulu, direction couchette...
Didier Hamann
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